Dora B.E.L. Saïdane
À Camille, la fille la plus chouettement bidon que je connaisse (les bidons ça fait bien flotter les radeaux ;-) !), merci d’avoir été avec ta Lulu, un modèle, un si bon coach dans cette aventure et d’être la belle personne que tu es.
À Lune, partie rejoindre ses étoiles le 16 décembre 2008.
À Ninou, mon héros.
Sent: April 24, 2005
Subject: de tunis à paris, this is hardcore
36ème jour d’hôpital, 20ème jour de bulle, j12 post-greffe
Hello my dear friend,
Je me pose enfin et je trouve le temps de t’écrire. J’ai l’impression que ça fait au moins un siècle que je ne l’ai pas fait. Deux mois, peut-être trois ?
Ninou s’est vite retapé. Il est entré à l’abri dans sa bulle (oups ! il faut dire « enceinte stérile » si on veut être politiquement correct). Il s’y est très bien adapté. Plus vite que moi, je dois avouer ! Il a reçu sa greffe de moelle osseuse. Le mot greffe peut paraître effrayant et barbare, mais en fait ce n’est qu’une petite poche rikiki d’un liquide presque transparent (les mystérieuses cellules-souches) qu’on passe en perfusion.
Ça dure à peine quinze minutes, la « greffe »… !
On attend fébrilement toute la journée l’arrivée de l’homme à la glacière bleue, porteur du précieux liquide qui renferme à lui tout seul tant d’espoirs.
Quand enfin vers 21h, la poche est arrivée, j’ai regardé presque religieusement l’infirmière installer la perfusion. J’ai fermé les yeux et j’ai concentré toute mon énergie positive (ce qu’il en reste !) vers mon p’tit bout. Bizarrement une grande paix intérieure m’a envahie !
Les docs ont fait leur boulot. Les dés sont jetés. Maintenant c’est à nous de jouer ! Dans notre malheur, on a eu de la chance parce qu’on était tous les deux, son père et moi, donneurs compatibles. Du coup on a pu faire la greffe dès que son état s’est stabilisé. Il est toujours sous oxygène mais au moins on a pu arrêter la morphine, il n’est presque plus douloureux. Il a encore régulièrement du Nubin, un autre antidouleur, en intra veineuse mais en gros il va mieux.
Depuis le temps s’est comme arrêté... On attend… On guette le grand méchant spectre de la g.v.h. (greffon versus host). Pour faire simple, c'est une sorte de rejet, mais dans l’autre sens : les nouvelles cellules greffées ne reconnaissent pas le corps hôte et s'y attaquent. Jérôme (l’interne-super-mignon-super-gentil-chouchou-de-toutes-les-mamans-qui-donne-pleins-d’info-et-qui-explique-tout ! Un ange !) m’explique qu’en gros, c’est un coup de poker cette histoire. On stabilise l’état de l’enfant, on nettoie un peu (sérum antilymphocytaire ou chimio selon les cas), on limite les risques en étant en bulle, on balance les cellules-souches. Après on attend ! Ça passe ou ça casse ! Aucune garantie. Une réussite dans plus de la moitié des cas, qu’ils m’ont dit les docs ! C’est vague….
C’est marrant, je me rends compte que je dis « on »… « On » c’est une espèce d’entité abstraite qui regroupe l’enfant, les parents, l’équipe médicale…
Chaque jour passé est une victoire sur la vie car depuis la veille de la greffe il n'a plus aucune défense immunitaire. Déjà qu’il en avait pas beaucoup à la base ! Deux jours de s.a.l, pardon, sérum anti lymphocytaire, et zou on a viré ce qu’il restait.
Dans la bulle stérile il est en sécurité. Jamais à 100%, ça n’existe pas le risque zéro en médecine ! Il faut s’y faire ! L’équipe soignante veille à tout.
L’équipe, l’environnement, les soins, le respect de la vie et des enfants, tout me paraît merveilleux après les horreurs que j’ai vu à Tunis. Je te raconterai, tu vas halluciner !
Tous ces gens la sont ici dans un même but, sauver des vies, sauver des enfants. Ma part de boulot à moi, c’est de donner à ninou l’envie de vivre. L’envie de s’accrocher. L’entourer d’amour et d’un maximum de sérénité pour qu’il oublie un peu les agressions constantes que sont la maladie, l’hôpital…
Alors pas vraiment le temps de m’asseoir et pleurer sur mon sort. C’est pas l’envie qui m’en manque, mais si je m’arrête, si je relâche la pression une seconde, je vais m’écrouler dans un coin, me liquéfier. Et je suis pas sure de pouvoir me relever ! Mais tu me connais, quand il faut y aller… ! Et le sourire aux lèvres, s’il vous plait !
Après la folie furieuse qu’a été le premier mois, une espèce de routine s'est installée. La lutte entre la vie et la mort, l’entrée en bulle, l’intégration de tout ça dans ma cervelle de blonde ! je te raconterai ça un jour. Je n’ai pas oublié une seule des secondes de notre première journée ici et de chaque jour qui a suivi depuis…
Même trajet tous les matins. Musique dans les oreilles. C’est vital pour moi, tu le sais ! La musique me ressource, me nourrit, guérit mes bleus à l’âme.
Bonjour à la gentille dame de l’accueil. Elle s’appelle Marie-Hélène, elle est adorable ! Bonjour aux infirmières. On commence à se connaître, à s’apprivoiser. Pour la plupart des filles extraordinaires à qui je voue déjà une admiration sans bornes ! Compte-rendu de la nuit. Tous les détails, température, nombre de pipis, de cacas, comment il a dormi et tout.
Si le ninou dort encore, un petit thé, une clope et des blagues idiotes avec Camille.
Camille, une autre maman-bulle… On est devenu plutôt proches. Je te parlerai d’elle, une vraie rencontre, un coup de foudre !…
Et puis on démarre la journée. Les soins, les jeux, les siestes... Le plus bizarre dans tout ça c'est que la situation me paraît presque naturelle, "normale". Je joue avec mon p’tit bout. Il rigole. Je le vois évoluer, s'épanouir, bien à l'abri dans sa cabane transparente... Et si on fait abstraction des tuyaux, des fils et des machines qui font bip bip (ça s’appelle un scope et une pompe, ça, monsieur, hi hi !), on pourrait presque imaginer qu'il n'est pas...malade...
Malade ! Je n'aime pas ce mot ! D'ailleurs je ne l'utilise jamais en sa présence. Je lui parle de guérir, d'aller mieux et de toutes les belles choses de la vie. Je lui donne tout l'amour du monde, tous les jours.
Je vis avec lui des moments intenses et ce lien qui me raccroche à ce petit bonhomme est une chose que je ne pourrais jamais réellement expliquer avec des mots. C’est un lien viscéral, un truc indestructible… Hou la la, attention ! Ça sent le « cordon-pas-coupé » ça ! Faut me surveiller ça de près madame, dirait ma psy de petite sœur !
Il a grandi, c'est un petit coquin (on se demande bien de qui il a pris ça). À 7 mois il fait déjà du charme à toutes les infirmières avec son sourire radieux et irradiant ! Oui, radieux !
Il m’épate ce petit bout d’homme ! Et son petit regard en coin, si tu voyais ça ! Un regard sans concessions, plein de malice et d’intelligence qu’il te plante au fond des yeux !
C’est un charmeur et c’est un battant ! Il se bat, il s’accroche et je le félicite tous les jours, mon champion du monde ! On prend une sacrée leçon de courage avec touts ces enfants et ce qu'ils endurent. Il est cent fois plus courageux que nous tous réunis !
D’ailleurs je commence à développer une furieuse intolérance envers les adultes qui font leur chochotte et se plaignent du moindre bobo. OUI !!! Moi la plus douillette parmi les chochottes notoires je suis devenue en un mois à peine (le processus avait déjà commencé à la naissance de ninou) une espèce de chose sans corps, sans douleur. Une machine de guerre sans autre utilité qu’aimer mon fils et lui faire aimer la vie ! Sacré challenge pour une ancienne pseudo dépressive n’est ce pas ?
Eh bien, figures toi que je me débrouille plutôt bien dans ce rôle là et je suis la première surprise des ressources que j’ai en moi ! En tout cas, j’essaye de faire du mieux que je peux ! J’ai de la chance, j’ai des bonnes bases en matière d’amour parental donc à priori, ça devrait pas être trop compliqué…
J'essaye de prendre les choses au jour le jour, de ne pas trop anticiper... Je me sens déconnectée de tout et bizarrement ça me convient parfaitement.
Camille dit qu’on est des warriors, des killeuses ! Elle c'est une fille de bourgeois protestants intellectuels, rebelle, déjantée pour de faux (premier point commun !) avec un cœur immense, une langue bien pendue et un cerveau bien en place. On apprend à se connaître et, de pauses clopes en pauses-déjeuner, on se découvre des points communs. À part le plus commun de tous les points, la maladie.
La première fois que je l’ai vue passer dans le couloir, je me suis demandé qui elle était J’avoue que pour l’instant les autre parents sont un peu comme des fantômes que je croise, à qui je dis bonjour, mais sans réellement les voir. Mécanisme de défense probablement… De toute façon, je ne suis pas venue ici pour me faire des amis.
Et quand une autre maman m’a dit, dans les premiers jours de mon arrivée sur cette planète, sur un air de confidence entendue, (tout ce que je déteste ! Surtout de la part d’une personne que je ne connais pas !) que Camille était une fille très méchante, je me suis dis avec un grand sourire intérieur, « elle, elle sera ma copine ! ». Encore un nouveau concept que je t’expliquerai, le sourire intérieur !
Dans l’immense solitude qu’est cette histoire, ça fait du bien de se sentir en harmonie avec quelqu’un, de pouvoir parler, et d’avoir cette délicieuse impression de se comprendre. J’ai une grande admiration pour cette nana-là ! Elle y est pour quelque chose si je m’habitue plutôt bien à tout ça, la maladie, l’hôpital… la mort...
Ça, j’ai pas envie d’en parler. Je sais qu’elle est là, latente. Qu’elle rode tout près. Mais j’ai décidé de la zapper. De faire comme si elle n’existait pas…Encore un de mes mécanismes instinctifs de défense et de survie, issu des méandres de mon inconscient torturé !
Je découvre son histoire qu’elle me raconte petits à petits, très pudiquement, et avec tellement d’humour ! L’hôpital, elle connaît depuis longtemps et j’absorbe tout ce qu’elle me dit, ça m’aide énormément même si médicalement le cas de sa fille est très différent de celui du ninou.
Mais, en général, on passe la plus grande partie de nos pauses clopes à rigoler, à délirer comme deux groupies sur notre interne adoré, Jérôme ! Ces petits moments de rien du tout (ça dure jamais plus d’un quart d’heure ! après chacune retourne auprès de son petit loup) de déconnection de la maladie, futiles et légers, ont un goût de bonheur volé. On en a toutes les deux un besoin littéralement vital…
Aziz assure très bien son rôle de papa…techniquement. Il est présent, il joue, il fait de son mieux à cet exercice tellement nouveau pour lui, l’amour ! Il aime son fils, c’est un fait indéniable.
Évidemment dans le rôle du méchant mari c’est le grand retour de Jekill et Hyde. Il est toujours aussi torturé ! J’ai négocié un accord de non-agression (après une longue discussion que je croyais avoir avec un adulte !) mais c'est plus fort que lui.
Camille a une petite phrase qui résume très bien ça : « Les mamans pleurent, les papas sont en colère ! ». Régulièrement, il lance une attaque en bonne et due forme, cherchant à déclencher un conflit à tout prix. Mais je lève toujours le drapeau blanc.
Il est en colère contre tout et tout le monde. Personnellement, je pense que la colère n’est pas forcément la meilleure méthode pour affronter ce qui nous arrive. Et puis en colère contre qui ? Personne n’est responsable ! C’est juste la faute à « pas de chance » !
Je ne veux pas perdre une miette de mon énergie dans des disputes stupides et stériles qui n’ont rien à faire ici et maintenant. Je connais toutes les répliques, c’est plus drôle du tout ! La seule chose qui compte pour moi maintenant c’est mon p’tit bonhomme et je ne laisserai personne me pomper inutilement l’amour et l’énergie qu’il reste en moi. Tout est pour ninou, tout est autour de ninou, tout est à propos de ninou, le reste du monde passe après ! Il est celui qui en a le plus besoin maintenant !
Camille m’a prévenue, c'est un marathon et il faut tenir ! Ne jamais s'arrêter ! Lui donner des bonnes raisons de se battre et de vivre, chaque jour. Certains jours sont plus durs que d’autres, mais je puise tous les jours au fond de moi la force de les affronter, pour mon fils.
Tous les soirs, avant de m’endormir, quand je ferme les yeux, je m’imagine être un million de petites étoiles qui s’envolent jusqu’à sa bulle, je le regarde dormir presque paisiblement à la lueur blafarde des pompes et des scopes, et je l’embrasse doucement. Tu peux toujours te moquer et dire que je suis barge (d’ailleurs ce n’est pas un scoop, je suis barge et je l’assume !) mais je te jure que je sais qu’il sent mon baiser dans son sommeil!
Il est grand temps pour moi de sombrer dans un sommeil profond et réparateur. Je suis toujours complètement épuisée à la fin d’une journée d’hôpital, un peu comme si j’avais couru le marathon de new york.
Je continuerai sûrement à t’écrire, de temps en temps, ça fait du bien... et puis j’ai toujours adoré t’écrire, depuis qu’on se connaît…tu te rappelles ? Ça fait un bail, ça ne nous rajeunit pas…
sweet kisses
Sent: April 26, 2005
Subject: Re:
38ème jour d ’hôpital, 22ème jour de bulle, J14 post-greffe
Hello dear,
Moi aussi j'ai un bon feeling mais des fois je suis prise d'une espèce d'angoisse qui passe aussi vite qu'elle est venue... Enfin, que j’essaye de faire disparaître tant bien que mal. Plutôt mal que bien, il faut l’avouer. Mais c’est pas grave, on s’habitue à tout, je gère !
Tous les matins, depuis le premier jour, au moment où je passe la porte de l’entrée principale de l’hôpital, à l’instant où je laisse derrière moi le bruit de la rue des voitures, de la vie, pour entrer dans le monde du plastique et du blanc, de la maladie, de la mort, mes tripes se nouent. C’est une boule dans le ventre, comme un coup de poing, qui ne me quitte plus de la journée, qui ne disparaît qu’une fois que je suis endormie. Ma gorge se serre.
Alors j’accroche un sourire à mes lèvres, je ravale mes larmes et j’attaque une journée de plus à l’uih (unité d’immunologie et d’hématologie), une journée de plus de gagnée sur la maladie ! Et toc ! On l’aura cette salope !
Moi aussi j'avais l'espoir que cette épreuve nous rapproche Aziz et moi...L'espoir mais pas d'illusions ! Je sais ce qu'il est et je sais qu'il ne changera pas. Je n’ai pas le temps de lui expliquer encore, pour la millième fois, que c’est notre dernière chance. Qu’il est temps de se délester de tous ces poids morts que sont la rancune, le nombrilisme. De ne pas se laisser envahir par la haine. Ne pas se noircir l’âme inutilement.
Ma priorité, c’est ninou. Aziz et moi, on doit s’arranger pour former la meilleure équipe possible dans cette épreuve, sans mélanger les genres.
Ce qu'il y a de bien, c'est qu'il passe plus de temps avec son fils que ce qu’il aurait fait dans un contexte de « vie normale ». On a mis en place un système d'alternance. On fait chacun son tour une grasse matinée pour pouvoir récupérer ou un après-midi free pour déconnecter un peu de l'hôpital. Pour que ninou ne soit jamais seul. Par la même occasion, pour ne pas être trop l’un sur l’autre. Parce que, même en s’aimant très fort, il faut se supporter dans 4 m2 !
Ninou a besoin de nous et je vois tous les jours à quel point notre présence est importante pour son développement. On est son lien, sa connexion avec la vie, avec le monde extérieur. Je lui parle souvent de toutes les belles choses qu’on va voir, « dehors », une fois qu’il ira mieux. De tous les trucs sympas qu’on va faire. De tous ceux qui l’aiment très fort et pensent à lui chaque jour. C’est qu’il faut lui donner des bonnes raisons de s’accrocher et se battre à ce petit bonhomme !
Mine de rien, on forme une assez bonne équipe, son père et moi. S’il avait été aussi bon mari qu’il est bon père, je n’aurais jamais arrêté de l’aimer…
Je ne peux pas m’empêcher d’attendre et de fantasmer sur le moment où je pourrais enfin serrer mon petit bout dans mes bras et le couvrir de bisous ! Même si je sais qu’on en est encore loin, je me dis que ce jour va forcément arriver, y a pas de raison ! Toujours optimiste la Dodo ! il FAUT y croire ! J’y crois ou je crève !
En attendant on fait des bisous-plastique, et des câlins-bulle. Ça le fait rire aux éclats à chaque fois. Ce son, son rire, c'est comme une injection en intraveineuse de pur concentré d'amour de bonheur et d'énergie !
Alors je colle ma face contre la bulle et je lui fais toutes sortes de grimaces et il rit de plus belle. Clown, ça me convient parfaitement comme rôle ! Et je lui parle, tout le temps, de tout. Je vois dans ses grands yeux noirs qu’il absorbe tout ce que je lui dis, qu’il est avide de savoir…
Je m’habitue à cette barrière de plastique entre nous… Les gestes sont les mêmes que toutes les mamans du monde, le décor est juste un peu différent. Je change les couches (c’est un exercice très drôle en bulle, parce que essuyer les fesses de ton petit bout les mains dans des manchons avec une compresse stérile c’est une aventure !), je joue, je console, je rassure ! Rien ne peut empêcher mon amour et mon affection de parvenir à mon petit bonhomme, et sûrement pas un peu de plastique et quelques tubulures ! Il suffit juste de s’adapter. La survie a toujours résidé dans la faculté d’adaptation, non ?
Moi j’ai un instinct de survie surdéveloppé. Je l’ai toujours eu. Même si j’ai flirté avec le côté obscur, mais ça c’est une autre histoire ! L’hôpital ne fait qu’accentuer la chose. Je suis presque animale depuis que je suis là. Je sens très bien que je ne sortirai pas indemne de cette histoire quelle qu’en soit l’issue.
Mais je n’ai pas vraiment le temps de m’attarder sur moi-même. C’est aussi pour ça que je t’écris. Pour faire le point. Comme un check-up de l’âme et de la mémoire…
Ce que je sais, quoiqu'il arrive, c'est que je sortirai grandie de cette épreuve. Je pense que même si Aziz et moi on se sépare, il restera toujours entre nous une espèce de complicité liée à ce moment de notre vie. C’est tellement intense, tellement fort, tellement violent comme expérience…
C'est un peu cette complicité-là qui s'installe entre Camille et moi. Mais aussi avec quelques autres parents. Une petite bande est en train de se former. Par la force des choses ! Par atomes crochus. On a nos « private jokes », à base de docteur qu'on trouve très mignon, de lymphocytes, de GVH, de CRP, et autres mots barbares qu'on apprend ici...
Des trucs débiles qui nous font rire genre le kiné qu'on appelle Edgar parce qu'il y a une station de métro pas loin de l'hôpital qui s'appelle Edgar Quinet! C'est stupide et ça ne fait rire que nous ! Mais tous ces petits riens font que les journées sont moins longues et presque agréables.
Je pense à toi souvent, aux dernières fois où on s’est vu...il faut que j'y aille, il est tard!
sweet kiss
Sent: April 28, 2005
Subject: elle attend…
40ème jour d ’hôpital, 24ème jour de bulle, J16 post-greffe
Hello you,
Après la pression des premières semaines, les soins, la fièvre, la souffrance, tout est comme retombé. Les journées me semblent interminables depuis la greffe. Attendre, prier, guetter... La fatigue commence à se faire sentir et j'ai chopé un gros rhume-bronchite-mal de tête.
Tant que je n'ai pas de fièvre c'est que je n'ai pas d'infection donc j'ai toujours le droit d'accès à l'u.i.h. à condition de porter un masque.
Il ne faut pas que je lâche, il faut que je tienne le coup, encore... Jusqu’ici tout va bien… tant que je ne perds pas ma foi...Ma foi dans l’équipe soignante, ma foi dans la science, ma foi dans les capacités de mon petit champion ! Y croire toujours, ne pas lâcher l’affaire tout en sachant que la bataille est loin d’être gagnée d’avance et qu’elle peut même être déloyale
J'ai vu le documentaire (j'ai envoyé une copie à mes parents) qui était passé à la télé sur le service où on est. Ça fait un drôle d’effet, bizarre ! Tu vois ces trucs-là à la télé en ne pensant pas une seconde que ça peut t'arriver ! 1"chance" sur 100 000, c'est ce qu’expliquent les docteurs! Et ça tombe sur ton enfant !
Avec Camille, on a décidé (dans un de nos délires) de se faire des T-shirts avec imprimé devant « maman-bulle » et derrière « vu à la télé ! »… Aziz s'est mis à jouer au loto. Il dit que si ça marche dans un sens ça peut aussi marcher pour la chance au jeu ! Chacun sa manière d'exorciser...Moi je me dis que notre capital-chance à nous on l’a déjà soldé en arrivant jusqu’à Necker à temps (c’était limite quand même, l’état de ninou se dégradait à une vitesse effrayante !)…
Ils (« ils », cette espèce d’entité abstraite, ceux qu’on ne voit pas, l’équipe qui travaille au labo) sont en train d'établir ma carte génétique pour voir si je suis porteuse d'un gène mutant sur mon chromosome X. C'est ce qu'ils ont trouvé chez ninou, un gène qu’ils connaissent bien apparemment. Si c'est le cas j'ai une "chance" sur deux que le prochain bébé soit atteint du s.c.i.d. si c'est un garçon ou juste porteur de la maladie si c'est une fille.
Quand Jérôme est venu me balancer sa « bombe » ma réaction instinctive a été d’ironiser. C’est l’effet que ça m’a fait, encore une bombe ! Depuis le premier jour, c’est un bombardement constant d’infos que je dois très vite intégrer, digérer sans vraiment avoir le temps de m’y attarder. Alors pour avaler la pilule sans m’étouffer, je fais dans l’autodérision, l’humour grinçant. Toi qui me connais si bien, tu sais que c’est depuis toujours mon unique moyen de ne pas sombrer, de ne pas me mettre à sangloter bêtement.
J’ai balancé d’un ton léger et désinvolte « et voilà, ça va être encore de ma faute cette histoire ! ». J’ai bien vu qu’il n’était pas dupe et qu’il avait conscience de la violence de cette info. Le problème quand tu portes un masque, c’est que tu ne peux pas faire diversion avec un sourire, on ne voit que tes yeux et les miens n’ont jamais su mentir.
C’est extrêmement violent de se sentir responsable de la maladie de son enfant... J’attends la réponse avant de laisser la culpabilité faire son travail insidieux. J’ai besoin de savoir,même si le fait que je sois porteuse ou non du gène ne changera rien à la situation…j’attends et ça me parait interminable, encore une leçon de patience !
J'essaye peu à peu d'établir entre Aziz et moi une relation d'amitié, de partenariat. C’est essentiel pour Ninou qu’il règne autour de lui une atmosphère positive. Je lui explique qu’on est dans la même galère, qu’on doit ramer ensemble et essayer de ne pas se tirer dans les pattes. Je voudrais lui faire comprendre qu'une séparation peut être bien vécue et bien gérée et vaut cent fois mieux qu'un couple qui ne s'entend pas, ça me parait tellement évident !...Mais je ne veux pas m’attarder sur le sujet maintenant, j’ai d’autres priorités, on verra bien en temps voulu, ce n'est pas encore l'ordre du jour (ma décision n'a pas changé, c'est juste reportée à une date ultérieure !)...
Je ne sais même pas où je puise cette force et cet amour que j’essaye de transmettre à mon petit bonhomme. Il se bat de toutes ses forces, tous les jours ! C'est la première fois de ma vie que je ne m'appuie que sur moi, je ne pensais pas être capable de ça… Réussir à donner à partir de rien, sans recevoir, sans aller chercher du réconfort chez l'autre, juste en plongeant au plus profond de moi-même... Il paraît que c’est ça la maternité !
Mes ressources ne sont pas inépuisables. Alors j’essaye de capter des petits bouts de bonheur par-ci par-là, si petits et insignifiants soient-ils, pour pouvoir continuer à avancer sans flancher. Des petits riens grappillés à droite et à gauche. Une bonne chanson, un petit mail d’un ami ou d’une copine, un rayon de soleil, un moment de délire avec camille, une nouvelle paire de chaussures (vive le shopping sur internet !)…
J’apprends aussi à me blinder et à ne recevoir que les ondes positives...Ne laisser fuir aucune goutte d'amour ou d'énergie vers des choses et de gens qui ne m'apportent que de la souffrance inutile... Je pense que mes mécanismes de défense ont été bien rodés durant toutes ces années où je me suis exposée à tant d’agressions et de bleus à l’âme…
Toute personne qui sera source d’ondes négatives sera purement et simplement éliminée de ma vie, je ne peux pas me permettre d’être affaiblie par des évènements extérieurs…je sais, ça peut paraître égoïste mais c’est une question de survie, pas pour moi, pour ninou !
Au bout du compte je pense que je m'en sors pas mal du tout…finalement...même si les moments de doute et d'angoisse font partie de mon quotidien...j'ai la peur au ventre mais j'ai la foi dans le cœur et j'ai confiance dans l'équipe médicale…
On va y arriver, on va se battre, on l’aura la maladie !
Tu me manques... eh oui, toujours ! Donnes moi des nouvelles de toi...
Je t'embrasse
Sent: May 2, 2005
Subject: flash back, le jour le plus long…ta douleur
44ème jour d’hôpital, 28ème jour de bulle, J20 post-greffe
My dear special one,
Aujourd'hui mon p’tit bout d’homme fête ses 8 mois...Le temps passe tellement vite ! Et paradoxalement il est comme suspendu, arrêté… Les images du jour de notre arrivée sur la planète u.i.h me reviennent. Ma mémoire m’embarque.
Ma grossesse (presque idyllique), la naissance de ninou, les premiers mois qui me semblaient si durs et qui prennent maintenant tout leur sens…
Dès le début une petite voix en moi me disait qu'il y avait quelque chose de pas « normal ». Et pourtant, en apparence c'était un petit bébé comme les autres (juste mille fois plus beau et plus intelligent ! hi hi ! Fierté de « mamma » méditerranéenne).
En écho j’entends la voix de ma mère qui me répète « fies toi toujours à ton instinct »… Ceux qui me connaissent bien (et tu en fais partie) savent que je suis quelqu'un de très instinctif, presque animale. Dès que j’ai eu mon ninou dans mes bras mes tripes ont parlé. Un état d’alerte s’est déclenché en moi sans avoir la moindre idée de la raison de cette alerte. Rien de rationnel, pas de faits concrets, juste un ressenti.
Dans les premiers temps, médicalement il n’y avait rien de vraiment alarmant. Des régurgitations sévères difficilement résolues par une première pédiatre incompétente (banal !). Un problème de muguet (une mycobactérie, ou un champignon si tu préfères, qui s’installe dans la bouche et du coup dans tout le système digestif) péniblement maîtrisé par un deuxième pédiatre humainement adorable mais tout aussi dépassé que les autres.
Il mangeait bien, il dormait bien, il était vif, éveillé et souriant et donc « aucune raison de s’inquiéter » était le mot d’ordre général.
Et puis vers l'âge de quatre mois il a commencé à avoir des poussées de fièvre à 40° et plus qu'aucun médecin n'arrivait ni à expliquer ni à soigner. Tous plus paumés les uns que les autres ! « Mon dieu, pardonne leur, ils ne savaient pas » ha ha ha!
Je te laisse imaginer les nuits d’insomnies, l’inquiétude, la tension. Déjà, avec Aziz on s’était organisé un système de roulement pour surveiller la température avec l’angoisse de la convulsion. Prémonitoire ? Petit stage de préparation à ce qui nous attendait ?
Le parcours du combattant avait commencé. Il y avait aussi ce vaccin du bcg qui ne cicatrisait pas, des lésions qui apparaissaient un peu partout sur son corps. La valse de pédiatres en spécialistes divers a duré presque deux mois et mon inquiétude s’est transformée en état d’alerte maximum. Il se passait quelque chose, il fallait très vite qu’on sache quoi et qu’on agisse ! Urgence !
Les médecins à Tunis ont diagnostiqué toutes sortes de maladies plus effrayantes, incurables et surréalistes les unes que les autres. Très peu d’entre eux méritent leur titre de médecin ! Du chirurgien, chef de service, gras et suffisant, fumant son cigare et posant derrière son bureau orné de photos de golf et autres activités de sa vie de bourgeois auto satisfait au pédiatre trop imbu de sa personne pour oser dire « je ne sais pas ! ».
Mais à chaque fois ma petite voix intérieure me disait que ce n'était pas ça, qu'on faisait fausse route. D’ailleurs la dernière fois que je t’ai vu avant mon départ, tu m’as demandé pourquoi je ne pleurais pas et je t’ai répondu « je garde mes larmes pour le moment venu, quand je saurai exactement ce qu’il a ! ».
Son état se dégradait de jour en jour. À bout de nerfs, j'ai fait mes recherches seule. Mes parents et ma petite sœur ont très vite compris la situation et on s’y est tous mis. Mobilisation générale, mails, coups de fils ! Il est né sous une bonne étoile mon ninou, celle de l’amour ! On a finalement réussi à avoir un rendez-vous à l'hôpital Necker à paris avec le spécialiste concerné par ce qu’on commençait vaguement à pressentir. Mais on était quand même à des années lumières de la réalité.
Un réel coup de chance ce rendez-vous, de ceux qui n’arrivent pas souvent ! Hanem a appelé le secrétariat du Pr. Casanova dix secondes après une personne qui venait d’annuler le sien ! On arrivait le jeudi soir et le rendez-vous tombait le lendemain matin ! La machine était lancée !
J’ai quitté Tunis avec mon petit bonhomme et mes parents. Un sentiment mêlé d’espoir et d’angoisse me tenaillait les tripes.
Tout me revient comme si c’était hier…La traversée en bateau, l’arrivée à Marseille, les mains de mon père crispées sur le volant de sa voiture…Coincée entre une valise et mon bonhomme…sa petite main brûlante dans la mienne, il dort. Sa pâleur et la gravité de son petit visage me déchirent les entrailles… je lui chuchote à l’oreille de s’accrocher… plus on se rapproche de Paris et plus cette angoisse sourde m’envahit… j’ai une seule pensée qui revient comme un leitmotiv, une prière, la terre promise, « rendez-vous, vendredi 11h, hôpital Necker, Pr Casanova ».
La voiture remonte l’allée de la résidence où habite ma sœur. Dans la pénombre du crépuscule, je vois sa silhouette sur le perron, elle me prend dans ses bras et mes premières larmes m’échappent…
Un vendredi matin de mars, mon bout de chou dans les bras, à Paris, je franchis la porte d’entrée principale de l’hôpital Necker-Enfants Malades. Je me vois remonter l’allée d’un pas pressé et résolu...Le 18 mars 2005… Je n’oublierai jamais cette date. Le jour où ma vie a basculé, où tout a été balayé en quelques minutes ! Même si je savais au fond de moi qu'il avait quelque chose de grave j'étais loin d'imaginer ce qui m'attendait...
Tout me revient…à l’accueil, formalités administratives oblige, je commence à trépigner sur mon banc en répétant inlassablement, à la limite de l’obsessionnel, « j’ai rendez vous à 11h, je ne peux pas le louper, c’est important… ». Le jeune homme dans son box d’admissions, impassible et très charmant (dans d’autres circonstances, je l’aurais dragué éhontément, hi hi,) me regarde et m’adresse avec un sourire rassurant un « ne vous en faites pas, vous y serez ! 11h, chez le Pr. Casanova ». Son visage, comme tous ceux que j’ai croisés ce jour-là, est planté dans mes yeux.
10h55, j’y suis, enfin ! Mon cœur semble s’être mis en tête d’exploser hors de ma poitrine, je suis presque en apnée devant la porte du Pr…je vais savoir…
Le diagnostic a été posé en cinq minutes. Quand le Professeur, après avoir ausculté ninou, écouté avec attention le résumé des mois précédents et jeté un rapide mais efficace coup d’œil aux différents rapports d’analyses et autres radios que j’avais soigneusement rassemblés, s’est tourné vers Hanem et lui a dit « Vous êtes la tata ? Très bien ! Pourriez-vous le rhabiller et lui donner un biberon ? Je dois parler à la maman » j’ai su que ce que j’allais entendre ne serait pas facile.
Il m’a planté son regard franc et clair d’homme de science dans les yeux et m’as dit « asseyez-vous, madame, nous devons parler »…Je me suis assise calmement. Mes jambes m’auraient trahie si j’étais restée debout. Je lui ai dit « allez-y, dites- moi. Je sais que c’est grave ». D’une voix d’où émanaient l’expérience et la compétence, il m’a résumé la situation, sans fioritures inutiles. La confiance en la médecine qu’il m’a insufflé à ce moment-là, par sa manière de m’annoncer les choses, je ne l’oublierai pas.
Mais quand même, c’est un coup de massue, tu es assommé ! En moins d’un quart d’heure j’ai dû assimiler que mon fils avait une maladie génétique touchant le système immunitaire, qu’elle était mortelle si non diagnostiqué à temps (« il n’aurait pas passé l’année » ce sont ces mots, ils résonnent encore à mes oreilles !), que son état était très critique…Tout s’est enchaîné très vite, pas le temps de m’asseoir et pleurer sur mon sort ! Je n’ai pas pu retenir mes larmes mais j’y suis allé, bon petit soldat !
Hospitalisation en urgence dans la foulée. Perfusion, oxygène, électrodes, batterie de radios et autres échographies diverses et variées. Défilé de médecins et professeurs !
À travers mes larmes j’ai continué à parler à Ninou, à le rassurer, « tout va aller maintenant mon petit loup, on est au bon endroit, les docteurs vont te soigner, ça va aller… ». Ce jour-là je crois que j'ai réellement et littéralement pleuré toutes les larmes de mon corps dans le sens le plus absolu de l'expression !
Tout le monde était très gentil et moi j'étais comme dans un brouillard, K.O. debout comme dirait l’autre...rien que d'y repenser ma gorge se noue...On m'a expliqué à plusieurs reprises qu'il allait être mis en bulle stérile puis qu'on lui ferait une greffe de moelle osseuse afin qu'il puisse développer un système immunitaire sain et que tout ça durerait au moins six mois. Qu’on ne pouvait pas donner de pronostic de réussite car ces maladies sont rares. Qu’il fallait y croire, faire des projets...
Mais qu'il y avait aussi un autre problème. N'ayant pas de défenses immunitaires et ne pouvant pas fabriquer d'anticorps, le vaccin du bcg avait fait sur lui l'effet inverse, à savoir que le germe s'était propagé dans tout son corps, atteignant ses os, ses poumons et tous ses muscles...
Je n’oublierai jamais les deux infirmières qui ont « réceptionné » Ninou en hôpital de jour, le temps d’organiser les choses à l’étage au dessus, à l’uih, de préparer la chambre. Encore un coup de bol, qu’il y ait eu une chambre de libre ! Le service ne désemplit malheureusement pas ! Diane et Brigitte. Il m’arrive de les croiser de temps en temps dans un couloir ou à ma pause cigarette et elles ont toujours un mot gentil. Elles demandent des nouvelles à chaque fois.
Brigitte a eu un geste tellement gentil ! En partant (elle avait fini son service) elle a sorti de son sac une pomme, un sandwich et un yaourt (le déjeuner qu’elle n’avait pas eu le temps de prendre pour cause d’urgence avec ninou) en me disant « vous n’avez rien mangé de la journée, il faut prendre des forces »… La gentillesse des gens autour de moi, la douceur, les sourires rassurants alors que la situation ne l’est pas du tout. Tous sauf une ! le médecin à la tête de l’hôpital de jour. J’ai en mémoire sa silhouette de corbeau sec et décharné, ses cheveux lisses et noirs, un personnage échappé d’un film de Tim Burton ! sa voix sèche me signalant qu’il fallait régler au plus vite l’aspect financier ! Brrrr…
Le mot que j'ai entendu le plus ce jour-là a été "douloureux". Ninou souffrait beaucoup et il a été mis sous morphine. Et à chaque fois que j’ai entendu ce mot, ça a été comme un coup de poing, une accusation ! Comment une mère pouvait-elle permettre que son enfant souffre autant ?
Je ne me suis pas encore totalement débarrassée de cette culpabilité insidieuse et sournoise, de ce sentiment d’impuissance face à la souffrance de mon fils…
Mes parents et ma sœur m’ont relayé toute la journée afin que je puisse prendre l'air et régler toutes sortes de détails administratifs. Il fallait que je prévienne Aziz.
Je suis sortie (portables interdits à l’hôpital) et j’ai allumé ma première cigarette depuis presque un an (eh oui j’ai craqué !). Moment difficile. Essayer de communiquer l’information en étant rassurante. Essayer de ne pas laisser l’éloignement provoquer une panique inutile. Calmement, je lui ai résumé la situation. Ça n’était pas la peine qu’il saute dans le premier avion. On était vendredi et le week-end ne serait consacré qu’à stabiliser l’état de ninou. Il ne se passerait rien de plus Il prendrait le premier avion lundi matin et mes parents iraient le chercher à l’aéroport pour l’amener directement à Necker.
À 17h, ninou était installé à l’uih, dans le service du professeur Fisher. Alain Fisher, un grand, un vrai grand, de l’immuno-hémato ! Respect ! Chambre protégée, blouses, gants, masques. Le soir venu, j'étais encore à son chevet. L'infirmière qui s'occupait de lui m'a conseillé de rentrer dormir. D’une voix très douce elle m’a dit « vous savez, ce dont il va avoir le plus besoin dans les prochains mois votre petit loulou, c’est d’une maman en pleine forme ! ». Quand je suis sortie de la chambre, elle installait une poche de sang pour une transfusion tout en chuchotant des mots gentils et rassurants à mon petit bout...
Je suis rentrée complètement vidée, toujours en larmes et complètement assommée. Ça va te paraître complètement incongru dans une situation pareille, mais arrivée à Palaiseau je n’avais pas envie de rentrer me coucher tout de suite. Alors on est allé diner au restaurant. Notre super chinois fétiche kitschissime cultissime. Une institution familiale ! Pas un passage en France sans qu’on y dîne en famille au moins une fois. Nous avons longuement parlé. Mes parents ont été extraordinaires, présents, aidants…
Je voyais dans leurs yeux qu’ils étaient très affectés mais essayaient de prendre sur eux et de ne pas céder à la panique. Ils se sont montrés forts et ont fait leur possible pour me soutenir. Quand on a évoqué la possibilité que ninou ne s'en sorte pas j'ai dit "NON de tout mon être ! Non ! Il n'y avait pas moyen ! Il allait vivre, il allait s'accrocher !
Pendant les semaines qui ont suivi et où il était à moitié inconscient, je n'ai cessé de lui parler. De lui raconter. De lui dire comment la vie était belle. Qu’il fallait qu'il s'accroche. Qu’on l'aimait tous très fort, qu'on croyait en lui...
Ça peut sembler étrange de parler ainsi à un bébé de six mois mais j'ai la prétention de croire que ça a eu de l'effet...la preuve ! Il s’est un peu retapé et on a pu faire la greffe !
Il a fait très beau ce week-end. Alors je me suis dit, « Vas-y ma grande ! Vas faire du shopping et affrontse le monde extérieur ! Dis bonjour à la dame, pardon au monsieur ! Excuses toi d’être là, toi l’imposteur. Excuses toi d’oser songer à prendre un peu de plaisir ! Mère indigne ! ».
Faire du shopping ! L’art et la manière de la compensation par dora ! J’ai acheté plein de trucs pour ninou mais je me suis fait plaisir aussi, ça fait pas de mal !
Le problème c’est qu’à Paris dès qu’il y a un rayon de soleil et qu’il a le bon goût de tomber le week-end, tout le monde sort et surtout les enfants. Et puis, moi complètement maso (ou inconsciente) j’ai choisi quoi comme quartier ? Les halles et rue de Rivoli ! Grave erreur ! Choc d’une violence inouïe ! Déjà que je supporte de moins en moins les bains de foules (encore un effet uih !), mais en plus, de voir toutes ces mamans (et ces papas ! et des fois même les deux ensemble et heureux ! si, si, ça existe !) balader leurs bébés en poussette ça m'a fichu un méga gros coup de blues !
Je me suis senti complètement décalée, pas à ma place, une espèce d’alien en visite incognito sur la planète Vie, un imposteur. J’avais l’impression que j’allais être démasquée d’une minute à l’autre, que la foule allait d’une seconde à l’autre se masser autour de moi en pointant un doigt accusateur « Tu n’as rien à faire parmi nous, tu n’as pas le droit de profiter du soleil, de faire du shopping, d’avoir du plaisir ! Retournes sur ta planète Maladie&Souffrance ! ».
Prise de panique je me suis engouffrée dans la première station de métro venue pour m’enfuir, retourner dans mon monde, ma nouvelle planète, la planète uih. Fuir la foule, fuir ces gens heureux baladant leurs enfants en bonne santé pour ne pas ressentir d’envie, de jalousie. Fuir pour ne pas m’écrouler au pied d’un mur et me mettre à sangloter jusqu’à me liquéfier…
J'ai craqué quand je suis revenu à l'hôpital...Je n'avais pas pleuré depuis un bon moment. Depuis le fameux premier jour je crois. Mais là c'était trop dur! Camille m'a pris dans ses bras et j'ai pleuré comme une idiote. Sans pouvoir expliquer. Sans pouvoir mettre des mots sur cette douleur intense que je ressentais...
Elle sait. Elle comprend. Sa fille est sortie de la bulle (elle en est à sa deuxième greffe, une récidiviste !) et elle peut la serrer de nouveau contre elle...
Aziz ne sait pas me consoler quand je suis mal. Ce n'est pas de sa faute, il n'a jamais su le faire... Même si je sais qu'il souffre autant que moi de ne pas pouvoir serrer son fils dans ses bras. Je ne minimise pas ses sentiments mais nous n’avons pas la même manière de les exorciser, de les gérer. Le seul point commun à nos deux réactions est l’animalité vers laquelle on tend !
Ne souris pas, je te jure que je n’ai plus de l’être humain que l’apparence. Mes sens sont complètement exacerbés et centrés sur Ninou, comme une maman louve à l’affût, protégeant sa progéniture des dangers et des agressions.
Tu ne me croiras sûrement pas mais j'arrive même à ressentir, quand je suis dehors, le moment où il se réveille et qu'il pleure. Je remonte à sa chambre et je le trouve effectivement en train de pleurer ! J'en suis la première étonnée ! Il y a une espèce de connexion entre mon fils et moi que je ne peux même pas expliquer parce que ça n'a rien de rationnel...
Hanem revient bientôt et mes parents ne vont pas tarder non plus. Une quinzaine de jours et ils seront là. Je vais pouvoir souffler un peu et faire le plein d'amour, de câlins et de bonnes ondes (et d’autres un peu plus toxiques, mais bon, ça fait partie du pack !).
Avec tout ça, je me suis rendu compte que j'avais oublié de te souhaiter bon anniversaire alors que j'y pensais depuis le début du mois de mars. Il faut dire que depuis le 18 mars, ninou a un peu volé la vedette à tout le monde et je n'avais plus vraiment la notion des jours qui passaient. Le 31 mars, puis le mois d'avril sont passés sans que je m'en aperçoive...J'ai un gros doute tout d'un coup, c'est bien le 31 mars ton anniversaire ? J'aurai trop l'air con si ce n’est pas ça :-) !
En fait j'ai commencé à reprendre la notion du temps depuis la greffe. D'ailleurs les heures filent, il est déjà 13h30 ! Même si c'est mon jour de grasse matinée et qu'il est avec son papa, mon p’tit bout me manque, faut que je m'habille. Je traîne en pyjama depuis que je me suis réveillée. Faut que j'y aille !
"Allez, courage !" comme dirait ma maman :-)
Donnes moi de tes nouvelles, tu me manques.
sweet kisses